Les pouvoirs des agents de contrôle (inspection du travail, URSSAF …) sont extrêmement importants lorsque l’administration recherche des faits de travail dissimulé. Mais ils doivent tout de même y mettre les formes. C’est ainsi que l’on pourrait résumer cette affaire ayant donné lieu à un jugement du Tribunal Judiciaire de Lille du 12 novembre 2024 (TJ Lille, Pôle social, 12 novembre 2024, n° 22/01387).

Un banal contrôle de l’inspection du travail

L’histoire était banale. La DIRECCTE (inspection du travail) a opéré un contrôle inopiné dans un boulangerie du Nord de la France afin d’y rechercher d’éventuels faits de travail dissimulé. Dans son procès-verbal de constat, l’inspecteur du travail note : « Nous pénétrons dans l’établissement (…) et constatons la présence de trois travailleurs, une personne derrière le comptoir occupée à servir des clients, une autre à l’arrière du commerce dans le laboratoire, occupée à faire du pain, et une 3ème personne occupée à réceptionner des marchandises. Après avoir décliné nos noms, fonctions et annoncé l’objet de notre contrôle, nous relevons leur identité, et leurs déclarations avec leur consentement ».

Le problème est que ces personnes sont visiblement inconnues de l’administration et n’ont pas été déclarées. Après transmission du procès-verbal à l’URSSAF du Nord-Pas-de-Calais, celle-ci a opéré un redressement pour travail dissimulé de 10.642,00 euros.

La société a d’abord contesté cette mise en demeure devant la Commission de Recours Amiable, en vain, puis a saisi le Tribunal Judiciaire de Lille.

Se posait devant le Tribunal la question de la légalité des auditions des salariés.

Pas d’audition sans consentement des salariés

En effet, aux termes de l’article L.8271-6-1 du code du travail, les agents de contrôle mentionnés à l’article L.8271-1-2 « sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature ». De même, ils peuvent entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal.

Toutefois, conformément à l’article 28 du code de procédure pénale, l’article 61-1 du même code est applicable lorsqu’il est procédé à l’audition d’une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents mentionnés au premier alinéa et des personnes entendues. Ces agents sont en outre habilités à demander aux employeurs, aux travailleurs indépendants, aux personnes employées dans l’entreprise ou sur le lieu de travail ainsi qu’à toute personne dont ils recueillent les déclarations dans l’exercice de leur mission de justifier de leur identité et de leur adresse.

Enfin, aux termes de l’article R.243-59 II in fine du code de la sécurité sociale, lorsqu’il est fait application des dispositions de l’article L.8271-6-1 du code du travail, il est fait mention, au procès-verbal d’audition, du consentement de la personne entendue. La signature du procès-verbal d’audition par la personne entendue vaut consentement de sa part à l’audition.

Le Tribunal Judiciaire de Lille résume en indiquant que « lorsque les inspecteurs procèdent à des auditions au cours de leurs opérations de contrôle de lutte contre le travail illégal, le consentement de la personne auditionnée qui prend nécessairement la forme d’une signature doit figurer sur le procès-verbal de constatation d’infraction ».

Une signature manque et tout est annulé

Or, en l’espèce, après avoir analysé le contenu des échanges entre les agents de contrôle et les salariés, le Tribunal note que : « les inspecteurs en charge du contrôle n’ont pas seulement recueilli l’identité et les déclarations spontanées des personnes présentes sur les lieux mais ont bien procédé à l’audition de ces personnes susceptibles de leur fournir des informations dans le cadre de leur mission contre le travail illégal. Les inspecteurs du recouvrement ont par ailleurs choisi de relater la teneur de ces auditions sur le procès-verbal de travail dissimulé.

Le Tribunal estime donc que « Si l’article L.8271-6-1 du code du travail laisse aux inspecteurs du recouvrement le choix d’établir un procès-verbal relatant les auditions auxquelles ils ont procédé – « ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal… », dès lors qu’un tel procès-verbal est dressé, celui-ci doit être signé par les agents de contrôle et par la personne entendue. Or, le procès-verbal de travail dissimulé relatant les auditions ci-dessus n’est signé que par l’inspecteur du travail, en violation de l’article L.8271-6-1 du code du travail qui est d’interprétation stricte dès lors qu’il confère des pouvoirs d’investigation aux agents de contrôle. Dans ces conditions, le procès-verbal de travail dissimulé, irrégulier, doit être annulé, tout comme le redressement subséquent ».

Nicolas Taquet

Avocat au Barreau de Pau