Dans deux jugements du 6 mai 2024, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient d’étriller la nouvelle procédure instaurée par l’OFII qui était sensée régulariser la précédente procédure déjà censurée par le Conseil d’État … Un comble !

Une procédure peu respectueuse des droits de la défense

Parmi les nombreuses missions dont il avait la charge, l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) avait le pouvoir, jusqu’à l’adoption de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », de sanctionner financièrement les employeurs qui embauchent des travailleurs étrangers de façon irrégulière.

La procédure d’amende administrative prévue par les textes pour sanctionner les employeurs était … légère et laissait peu de place à la défense de l’employeur. L’article R. 8253-3 du Code du travail dispose que :

« Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l’article L8271-17, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration indique à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l’article L8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ». Une disposition semblable existe au sein du CESEDA pour la contribution forfaitaire ce qui permettait à l’OFII de n’envoyer qu’un seul courrier pour les deux sanctions.

Durant longtemps, l’OFII a appliqué ces dispositions avec beaucoup de retenue. Il se contentait bien souvent d’envoyer un courrier informant de la procédure et indiquait à l’employeur qu’il avait 15 jours pour présenter ses observations écrites. La plupart du temps, l’OFII ne prêtait pas beaucoup d’attention aux observations de l’employeur et celui-ci recevait rapidement les titres de perception avec l’étrange sentiment d’être pris sous un « rouleau compresseur ».

Un renforcement des garanties par le Conseil d’État

D’un point de vue jurisprudentiel, le Conseil d’Etat a donc renforcé les garanties dont bénéficient les employeurs.

La première pierre jurisprudentielle a été posée avec la décision du Conseil d’Etat EURL DLM Sécurité du 29 juin 2016 aux termes de laquelle, la Haute juridiction a estimé que : « si ni les articles L8253-1 et suivants du Code du travail, ni l’article L8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l’infraction aux dispositions de l’article L8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d’assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution spéciale, qui revêt le caractère d’une sanction administrative » (CE, EURL DLM Sécurité, 29 juin 2016, N° 398398, B).

Depuis cette décision, l’employeur visé à donc non seulement la possibilité de présenter ses observations, mais il peut également demander la communication des procès-verbaux dont il n’a pas forcément eu connaissance, secret de l’instruction oblige. Il s’agit là d’une réelle avancée, puisque ces procès-verbaux constituent la seule trace écrite du constat d’infraction et donc, le seul élément permettant à l’employeur de contester le bienfondé de l’infraction. Il va sans dire que cette demande de communication doit avoir été présentée dans le délai de 15 jours mentionné à l’article R. 8253-3 du code du travail, sans quoi toute contestation ultérieure de ce point dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OFII serait nécessairement vouée à l’échec (CE, 6 mai 2019, N° 417756, B).

La deuxième pierre jurisprudentielle, plus récente, a encore légèrement renforcé les garanties procédurales. Dans une décision du 30 décembre 2021, le Conseil d’Etat a sévèrement étrillé la procédure menée par l’OFII en estimant que celui-ci devait informer l’employeur qu’il avait le droit d’avoir communication du procès-verbal de contrôle. Dans cet arrêt, il exige que : « la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus » (CE, 30 décembre 2021, N° 437653, B).

A compter de cette date, la lettre de l’OFII ne pouvait plus se contenter de mentionner la possibilité qu’a l’employeur avait de présenter ses observations. Elle devait aussi mentionner son droit d’obtenir la communication du procès-verbal de constat en incluant « une mention stéréotypée informant l’intéressé de ce qu’il peut demander la communication des documents » (selon les termes du Rapporteur Public).

Les conséquences de l’arrêt du 30 décembre 2021

L’arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2021 a été fort dommageable pour l’OFII qui tire ses ressources notamment des amendes administratives émises sur le fondement de l’article L. 8253-1 du code du travail (article R. 121-28 du CASEDA).

En effet, cet arrêt s’est appliqué de façon rétroactive à l’ensemble des instances pendantes devant les judications administratives, y compris lorsque le moyen était pour la première fois invoqué en cause d’appel (CAA de Douai, 16 mai 2023, N° 22DA01364).

Plus encre, par un récent arrêt du 29 avril 2024 classé C+, la Cour Administrative d’Appel de Paris a même refusé de « Danthonyser » le vice de procédure en cas d’absence de retrait du courrier n’informant pas l’employeur de son droit d’avoir communication du procès-verbal : « La circonstance qu’elle n’a pas été retirer, pendant les congés estivaux de son personnel, le pli contenant la lettre du 13 août 2020 envoyé à son adresse par courrier recommandé avec accusé de réception n’est pas de nature à permettre la régularisation de cette procédure irrégulière. Contrairement à ce qu’ont jugé les premiers juges, l’absence de retrait de ce pli n’a pas davantage privé la société SPR Bâtiment de la possibilité de se prévaloir de l’irrégularité de procédure résultant de ce qu’elle n’a pas été informée de la possibilité de demander la communication du procès-verbal d’infraction sur la base duquel ont été établis les manquements qui lui sont reprochés. Cette irrégularité, qui l’a privée d’une garantie, entache la légalité des décisions contestées des 8 octobre 2020 et 26 janvier 2021 » (CAA de Paris, 29 avril 2024, N° 23PA02728, C+).

Dans son Rapport annuel pour 2022, l’OFII expliquait ainsi le taux d’annulation important de ses décisions était « la conséquence directe du revirement de jurisprudence de la décision du 30 décembre 2021 n° 437653, la décision est applicable à tous les dossiers n’ayant pas donné lieu à une décision définitive. Certains dossiers pourront encore faire l’objet d’une annulation devant les juridictions ». Il est vrai que dans ses conclusions sous cette décision, le Rapporteur public avait indiqué : « cette jurisprudence stricte nous semble, à dire vrai, d’autant moins justifiée que la solution inverse n’induirait – passé le temps d’adaptation – aucune contrainte supplémentaire pour l’administration. ». Cette année 2022 d’augmentation substantielle du taux d’annulation constituait ce « temps d’adaptation ».

Comment s’est adapté l’OFII ?

En incluant effectivement « une mention stéréotypée informant l’intéressé de ce qu’il peut demander la communication des documents ». Cette mention était la suivante : « si vous avez adressé une demande de communication du procès-verbal à l’adresse électronique plciir@ofii.fr, le délai de quinze jours court à compter de la réception de ce document ».

Quand ça veut pas, ça veut pas …

La mention insérée par l’OFII dans ses courriers est clairement alambiquée. La formulation employée indique à l’employeur, de façon malheureusement trop indirecte, qu’il a droit d’obtenir la communication du procès-verbal. On ne peut que soupçonner l’OFII d’avoir employé cette formulation afin de susciter le moins de demandes possibles.

Même si l’arrêt du 30 décembre 2021 a immédiatement fait réagir l’OFII qui a tenté de régulariser ses procédures (parfois des procédures en cours), il aura fallu près de deux ans pour que les juridictions administratives statuent sur la nouvelle procédure et la formulation employée depuis janvier 2022.

Un premier jugement du Tribunal administratif de Dijon est venu doucher les espoirs en validant la formulation employée (TA Dijon, 6 février 2024, n° 2202923). Le Tribunal administratif de Paris en a fait de même, en soulignant toutefois la « maladresse rédactionnelle » de l’OFII (TA Paris, 29 février 2024, n°221485).

Mais par deux jugements du 6 mai 2024, le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise a admis l’exact inverse. Il juge que : « Par un courrier du 16 février 2022, annulant et remplaçant le premier courrier, le directeur général de l’OFII a avisé la société Bati Europe Intérim de son intention de mettre à sa charge une contribution spéciale et une contribution forfaitaire et précisée : « si vous avez adressé une demande de communication du procès-verbal à l’adresse électronique plciir@ofii.fr, le délai de quinze jours court à compter de la réception de ce document ». Cette formulation ne peut être regardée comme satisfaisant à l’obligation à laquelle était tenu l’OFII d’informer en temps utile la société requérante de son droit à demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus. Par ailleurs, si un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de celle-ci ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie, le vice de procédure tiré de cette absence d’information préalable de la société Bati Europe Intérim est de nature à l’avoir privée d’une garantie et constitue, dès lors, une irrégularité de nature à entacher la légalité de la décision attaquée » (TA Cergy-Pontoise, 6 mai 2024, n°s 2210256, n° 2209952).

Cette position, dont on ne peut que se réjouir tant la formule employée est nébuleuse, est toutefois contraire au précédents jugements des Tribunaux administratifs de Paris et de Dijon. Ce point n’est pas sans intérêt dans la mesure ou le décret d’application du nouvel article L. 8253-1 du code du travail n’est pas encore paru à l’heure actuelle et que nul ne sait comment le Ministre de l’Intérieur appréhendera ces questions.

Nicolas Taquet

Avocat au Barreau de Pau