Dans un savoureux arrêt du 15 mai dernier, la Cour d’Appel de Rennes se montre pédagogue avec l’URSSAF de Bretagne et lui explique la procédure qu’elle aurait dû suivre. Elle annule le redressement pour un montant de près de 150 000 euros (CA Rennes, 15-05-2024, n° 20/02257, Infirmation partielle) ».

Deux procédures différentes

L’organisme de recouvrement peut procéder au redressement de cotisations pour travail dissimulé dans deux situations distinctes :

  • Lorsque a été mise en oeuvre la procédure de contrôle spécifique à la recherche des infractions aux interdictions de travail illégal et qu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi à l’encontre de l’employeur, le redressement étant calculé sur la base des informations contenues dans ce procès-verbal (2e Civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-18.584, 2e Civ., 19 décembre 2013, pourvoi n° 12- 27.513, Bull n° 241) ;
  • Lorsque, à l’occasion de la procédure de contrôle de l’application de la législation de la sécurité sociale prévue par l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, elle relève l’existence d’une situation de travail dissimulé justifiant le redressement des cotisations soustraites aux déclarations sociales (2e Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-16.110, Bull n° 190).

La Cour de cassation a rappelé cette double possibilité de recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé sur le fondement du code du travail et lors d’un contrôle effectué sur le fondement de l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (2e Civ., 20 juillet 2021, pourvoi n° 21- 10.825).

La Cour d’Appel indique que « Dans le premier cas, le redressement est régi par les articles L. 8271-1 et suivants du code du travail et l’article R. 133-8 du code de la sécurité sociale. Dans le second cas, le contrôle est régi par l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale et l’article R. 243-59 du même code définit les règles applicables. Ce contrôle est dit contrôle de droit commun ou encore contrôle comptable d’assiette. Les deux procédures de contrôle présentent un caractère autonome ».

En clair, dans le premier cas, l’URSSAF contrôle uniquement et dans le but de trouver du travail dissimulé. Dans le second cas il s’agit d’un contrôle classique au cours duquel, manque de chance, l’URSSAF s’aperçoit que le cotisant se rend en plus du reste, coupable de travail dissimulé.

Ce n’est que lorsqu’un contrôle est initié afin de rechercher des infractions constitutives de travail illégal que toutes les opérations de contrôle obéissent au code du travail et à lui seul ((2e Civ., 28 mai 2014, pourvoi n° 12- 21.397; (2e Civ., 29 novembre 2018, pourvoi n° 17 27362) et que les dispositions de l’article R. 133-8 du code de la sécurité sociale sont applicables au recouvrement consécutif des cotisations de sécurité sociale éludées (2e Civ., 8 juillet 2021, pourvoi n° 20-16.738, 2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-23.051).

Les modalités des deux procédures

Il en résulte que lorsque l’URSSAF intervient spécifiquement pour la constatation de faits de travail dissimulé :

  • Le redressement doit être porté à la connaissance de l’employeur ou du travailleur indépendant par un document daté et signé par le directeur de l’organisme de recouvrement, transmis par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (article R. 133-8 dans sa version applicable en l’espèce) ;
  • Les inspecteurs de l’URSSAF (mentionnés à l’article L. 8271-1-2) sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit mais avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature de ses activités (article L. 8271-6-1) ;
  • Les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent ne pouvant être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues (article L.8271-6-1 du code du travail), l’absence de consentement vicie toute la procédure, peu important les autres constats matériels (2e Civ., 9 décembre 2021, pourvoi n° 20-13.498 ; 2e Civ., 9 décembre 2021, pourvoi n°20-14.922) ;
  • Les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale ne s’appliquent pas au redressement effectué sur le fondement de l’article L. 8271-1 du code du travail (2e Civ., 29 novembre 2018, pourvoi n° 17- 23.331 ; 2e Civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-18.584 ; 2e Civ., 21 décembre 2017, pourvoi n° 16-26.567 ; 2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-23.051 ; 2e Civ., 9 octobre 2014, pourvoi n° 13-19.493, Bull n° 204 ; 2e Civ., 28 mai 2014, pourvoi n° 12-21.397).

Dans ce cas il en résulte qu’aucune irrégularité ne peut résulter de l’absence d’envoi d’un avis préalable de contrôle, ce qui semble logique, l’effet de surprise du contrôle étant nécessaire à celui-ci.

A l’inverse, elles s’appliquent au contrôle effectué sur le fondement de l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale même si celui-ci aboutit au redressement de cotisations pour travail dissimulé (2e Civ., 23 janvier 2020 pourvoi n° 19-10.907 publié ; 2e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.947 publié ; 2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16 -23.484, Bull n°208, 2e Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-16.110, Bull n° 190, 2e Civ., 9 octobre 2014, pourvoi n° 10-13.699, Bull n° 203).

Dans cette hypothèse, les dispositions de l’article R. 133-8 ne sont pas applicables au redressement (2e Civ., 23janvier 2020, pourvoi n° 19-10.907 ; 2e Civ., 19 décembre 2019, pourvoi n° 18-20.616, 2e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.947, publié).

Il en résulte :

  • Qu’aucune nullité ne peut résulter de ce que la lettre d’observations est signée par l’inspecteur du recouvrement ;
  • Les inspecteurs sont autorisés à entendre les salariés eux-mêmes, dans l’entreprise ou sur les lieux du travail, sans qu’il soit nécessaire de recueillir leur consentement ;
  • Étant d’application stricte, les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale n’autorisent les agents de l’URSSAF à entendre le salarié que dans l’entreprise ou sur les lieux du travail ;
  • Une audition irrégulière entraîne la nullité du chef de redressement concerné mais non l’ensemble du redressement opéré (en ce sens, Soc., 26 octobre 2000, pourvoi n° 98-18.578 ‘ Soc., 14 juin 2001, pourvoi n°99-20.506 ‘ 2e Civ., 9 octobre 2014, pourvoi n° 13-19.493 ‘ 2e Civ., 7 novembre 2019, n° 18-21.947) ;
  • Il peut être possible de rechercher si le redressement litigieux n’est pas suffisamment fondé sur les autres éléments (2e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.947 précité dans une hypothèse où l’audition avait été annulée pour un problème de compréhension de la langue française).

Pas de mélange entre les deux procédures

Le cotisant ne peut invoquer le bénéfice des modalités et garanties propres à l’une des procédures de contrôle si les opérations ont été menées en application de l’autre procédure (Cass. 2e civ., 9 oct. 2014, n°12-28.958).

Ici, la Cour indique que « De par sa nature et la façon dont il a été initié, le contrôle a bien été opéré sur le fondement de l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale de sorte que n’ont pas vocation à s’appliquer les dispositions de l’article L. 8271-6-1 (…) ».

Or, dans ce cas d’espèce, la Cour répète et martèle que « l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable au contrôle litigieux, qui est d’interprétation stricte, confère à l’inspecteur du recouvrement seulement la faculté d’entendre les personnes rémunérées par l’entreprise, à quelque titre que ce soit, dans les lieux occupés par celle-ci ou sur les lieux du travail. (Soc., 6 juin 1996, pourvoi n° 94-14.202 ; 2e Civ., 28 janvier 2021, pourvoi n° 19-26.263) ».

Le sous-traitant étant une ‘personne rémunérée par l’entreprise’, il peut être entendu dans les locaux de celle-ci ou sur le lieu de travail (Cass. 2e civ., 28 janv. 2021, n°19-26.263). Mais dans cette hypothèse, la Cour souligne que « l’organisme de recouvrement ne peut envoyer un questionnaire au domicile des salariés (Cass. soc., 27 févr. 2003, n°01-21.149 ; Cass. 2ème civ., 10 mai 2005, n°04-30.046) ».

Or les magistrats constatent, aux vues des pièces du dossier que « l’URSSAF a recueilli la parole de MM. [E] et [G], prestataires, sous la forme de questionnaires, en contradiction avec les dispositions de l’article R. 243-59 sus-visées. En l’état de ce qui précède et par motifs substitués, il sera jugé que les questionnaires de MM. [E] et [G] sont entachés de nullité. Il sera ajouté qu’ils sont écartés des débats ».

La Cour estimant que le redressement ne pouvait se fonder sur aucun autre élément que les questionnaires annulés, elle décide de l’annuler dans son entier.

Nicolas Taquet

Avocat au barreau de Pau