« Rien ne sert de courir, il faut partir à point » ou quand l’URSSAF est trop pressée de racketter un cotisant

C’est cette fable de La Fontaine qui vient à l’esprit en lisant l’arrêt 21/05930 rendu par la Cour d’Appel de Bordeaux le 14 mars 2024.

« Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ».

Dans cette histoire, après l’envoi d’un avis de contrôle, une entreprise basée à Bordeaux a vu débarquer plusieurs inspecteurs URSSAF dans son service RH et paie. Les inspecteurs ont posé une foultitude de questions à l’ensemble des cadres et dirigeants de la société.

Puis, le lièvre laissa la tortue « Aller son train de Sénateur » et méprisa « une telle victoire ».

La société contesta les chefs de redressements mentionnés dans la lettre d’observations, mais en vain.

Résultat des courses ? Un juteux redressement de 885.160 euros, portant sur 23 chefs de redressement, réparti sur 73 établissements. Ce sont donc au total 73 mises en demeure qui ont été notifiées !

Le cotisant a bien entendu contesté ces 73 mises en demeure devant la Commission de Recours Amiable mais cela n’y changea rien. Eu égard à l’importance du redressement, la société contesta la décision. Mais le Tribunal Judiciaire de Bordeaux confirma toutes les mises en demeure. Bref, échec sur échec pour la société.

« De quoi vous sert votre vitesse ? ».

Dans cette histoire, l’avis de contrôle envoyé à la société précisait que les opérations de contrôle étaient prévues pour débuter le 3 février 2015 … Malheureusement pour eux, les inspecteurs de l’URSSAF étaient trop pressés de redresser l’entreprise.

En effet, dès le 28 janvier 2015, l’URSSAF a procédé à une « Réunion d’ouverture » (sic), qui était « préalable à l’intervention » et avait pour objet la présentation « des deux inspecteurs du recouvrement en charge de la vérification », « la méthodologie du contrôle » et du « déroulement des opérations ».

Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

Car des participants ont attesté que « dès cette réunion, nous étions entrés dans le vif du sujet, notamment sur l’AUV qui est un des sujets sensibles entre leur position et la nôtre. À la fin de la réunion nous avons abordé la logistique (ordinateur, bureau, badge, café…) ». Un autre participant évoque que « nous avons précisément évoqué le fond du redressement et notamment deux sujets qui donnent habituellement lieu à des redressements de la part de l’Urssaf : l’AUV et les frais professionnels

La Cour d’Appel de Bordeaux a sèchement censuré l’URSSAF. Elle indique dans son arrêt que : « les articles L. 243-7 et suivants et R.243-59 et suivants du code de la sécurité sociale définit les pouvoirs des agents de contrôle mais également les droits et garanties des cotisants. En particulier, l’impératif de l’avis préalable à la mise en oeuvre du contrôle a notamment pour but de porter à la connaissance du redevable la date de la première visite de l’inspecteur, ce qui permet à l’entreprise de préparer sa défense et de choisir éventuellement un conseil qui l’assistera tout au long des opérations de contrôle dans le cadre du principe du contradictoire ».

Elle en conclue logiquement que : « En interrogeant les cadres de la société en charge des ressources humaines sur plusieurs éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l’entreprise, les agents de l’Urssaf Aquitaine ont engagé les opérations de contrôle, qui n’avaient pourtant été annoncées qu’à compter du 3 février suivant, dès le 28 janvier 2015. Il en résulte que, incorrectement informée de la nature de ce rendez-vous du 28 janvier 2015, la société n’a pu organiser sa défense utilement, cela en violation du respect du contradictoire. L’irrégularité de la procédure entraîne l’annulation de l’ensemble des mises en demeure et des redressements notifiés ».

Morale de l’histoire ? Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

Nicolas Taquet

Avocat au barreau de Pau